Entre foyers pauvres et modestes, une classe d'écart mais des votes aux antipodes
Avec les législatives, c'est à travers le vote des ménages défavorisés que se dévoilent le plus profondément les fractures de la société française.
«Que la parole soit donnée au peuple souverain, rien n'est plus républicain. Cela vaut mieux que tous les arrangements, toutes les solutions précaires. C'est un temps de clarification indispensable. Confiance en la France qui, face à la rudesse des temps, sait toujours s'unir et résister pour dessiner l'avenir et non se replier ou céder à toutes les démagogies. […] Je sais pouvoir compter sur vous pour aller massivement voter les 30 juin et 7 juillet prochains. La France a besoin d'une majorité claire pour agir dans la sérénité et la concorde.»
Emmanuel Macron - Adresse aux Français, 9 juin 2024
La naissance d’un cerbère
Rétrospectivement, l’adresse aux Français par laquelle Emmanuel Macron a annoncé la dissolution au soir des élections européennes prête forcément à sourire tant la réponse des Français fut, à la fois, aussi «massive» qu’espérée, mais ô combien éloignée de la «majorité claire» appelée par le président de la République, dévoilant une France coupée en trois.
Pour appréhender la dynamique à l’oeuvre dans ce vote qui acte la fin de la majorité présidentielle (déjà relative depuis 2022), on peut s’aider des statistiques, et notamment de l’inférence écologique. Cette méthode propose, en croisant la composition sociale et les résultats électoraux sur une multitude d’entités géographiques (ici les circonscriptions), de déterminer le comportement électoral des différents groupes analysés. Notons préalablement que cet outil n’est pas exempt de défaut et ne donne qu’une tendance (pour peu qu’il y ait un lien entre ces groupes et la logique électorale). Pour simplifier l’analyse, nous avons regroupé les nuances des candidats en blocs : la gauche, le centre, la droite, la droite nationaliste, et écarté les DROMs et les COMs, trop spécifiques.
Découpée en cinq, la composition des circonscriptions selon le niveau de vie provient du portrait statistique des circonscriptions législatives de l’Insee en 2022 :
Ménage pauvre : dont le niveau de vie est en dessous de 60 % du niveau médian.
Ménage modeste : dont le niveau de vie est entre 60 % et 90 % du niveau médian.
Ménage médian : dont le niveau de vie est entre 90 % et 120 % du niveau médian.
Ménage plutôt aisé : dont le niveau de vie est entre 120 % et 180 % du niveau médian.
Ménage aisé : au-delà de 180 % du niveau médian.
Ce qui nous donne, en croisant le niveau de vie aux résultats du premier tour des législatives, le tableau suivant :
On relève l’homogénéité du comportement des plus aisés : forte mobilisation et réticence à s’engager du côté des extrêmes. La droite nationaliste ne réussit toujours pas à fédérer ni même attirer cet électorat chez qui la rationalité économique prime sur toute autre considération. Le Nouveau Front populaire, engagé dans une forme de radicalité, y séduit moins qu’un centre pourtant lessivé par la forte impopularité du président Macron.
A contrario, les classes populaires apparaissent largement séduites par cette radicalité. Les classes moyennes et modestes, d’abord - ceux que le géographe Christophe Guilluy qualifie de «France périphérique» - s’expriment fortement en faveur du RN. Il s’agit là d’une France qui se perçoit comme laissée pour compte, et est hostile à la mondialisation (aussi bien celle longtemps incarnée par l’idée de startup nation que son pendant tiers-mondiste et immigrationniste, aujourd’hui personnifiée par les figures de LFI).
Cette nouvelle gauche réussit cependant très bien à séduire les plus précaires (en dessous de 60% du revenu médian), à l’aide d’un programme économique centré sur la revalorisation du pouvoir d’achat des plus pauvres.
Un centre écartelé ?
Regardons désormais le second tour, dans sa configuration la plus intéressante, celle qui voyait s’opposer un candidat RN (et alliés) à un candidat du NFP.
On notera que le report n’est pas systématique dans un camp comme dans l’autre. Peut-être certains votants socialistes ont-ils été réticents à voter LFI ? Côté Rassemblement national, les nombreuses maladresses de l’entre-deux-tours auront probablement dissuader certains électeurs de confirmer leur choix.
Dans cette configuration, les centristes se sont naturellement tournés vers la gauche. Les électeurs de droite apparaissent eux, plus divisés. Une part conséquente s’est dirigée vers le RN ou ses alliés et seul un quart a opté pour le «pacte républicain» tendance NFP.